Les crêpes de la chandeleur
Le jour de la fête de notre dame de la chandeleur, ma Méninou comme j’aimais la surnommé, tant elle était douce et bonne, me faisait un plat de délicieuses crêpes. C’était toute une cérémonie pleine de superstitions transmises de mères en filles.
Dans la cheminée Méninou commençait à installait des bûches d’aulne, un bois qui produisaient une flamme douce et régulière. Avant de commencer la préparation de la pâte elle me demandait
- Et le fant ! chasse les chats de la cuisine, et ferme la porte, afin que personne ne nous dérange.
Et comme tous les ans, papi avant que sa femme ne se mettre au travail, préparait le fusil avec du gros sel.
Après toutes ces précautions, la confection des crêpes pouvait commencer. Assise sur une cadièrou (petite chaise basse) Méninou tenait dans sa main une louche à long manche, tandis qu’à côté d’elle dans une grande jatte de terre cuite, reposé une pâte onctueuse sentant bon la fleur d’oranger.
Piqué au bout d’une fourchette un gros bout de lard servait à frottait la plaque. Meninou y versait délicatement une louchée de pâte sur l’ustensile, en l’étalant dans un mouvement giratoire avec la raclette.
Je savais que la première crêpe ne serait pas mangée, elle servait de porte bonheur pour l’année à venir. Meninou y plaçait une pièce de vingt sous en argent ; elle repliait la crêpe en quatre et disait :
- A toi le fant.
Je lançais de toutes mes forces les crêpes sur le haut de l’armoire et Pépi faisait claquer un coup de fusil vers le haut de la cheminée. Pourquoi me demanderez-vous, il ne fallait ni chats, ni voisins dans la cuisine ? et pourquoi le papi tirait un coup de fusil dans la cheminée ? en voici l’histoire que Meninou m’a contée.
La légende des crêpes et des sorcières de la Chandeleur
Une fois dans notre village, une Gourbitoise confectionnait des crêpes pour la fête de notre dame de la chandeleur. Elle avait laissé la porte de la cuisine ouverte, aussi vit-elle entrer une grosse chatte noire, qui vint s’asseoir sur son derrière dans le cantou, au pé del foc (au pied du feu). Avec ses gros yeux globuleux, elle surveillait la fermière qui depuis l’arrivée du chat dans la pièce loupait toutes ses crêpes. Alors elle se souvint des recommandations de sa mère et en déduisit que cette chatte n’était qu’une sorcière, elle l’avait embreyché. Pour contrecarrer le mauvais sort, elle cria à la bête :
— Je te doute, tout en lui lançant sur le museau une crêpe brûlante.
La chatte noire se sauva en miaulant de douleur, et les crêpes suivantes furent toutes réussies.
Le lendemain sa voisines de donna aucun signe de vie, ses volets restèrent clos toute la journée. Inquiète, notre fermière croyant sa voisine malade alla la voir. Elle la trouva gémissant au lit, une serviette humide enveloppait tout son visage.
- Eh ! la Justine, t’ai malade ?
- Eh hypocrite ! tu le sais puisque c’est toi qui m’as brûlé hier avec ta crêpe, mais je me vengerais, croix de bois et tu me le payeras au centuple.
Avec l’aide du Diable elle mit sa vengeance à exécution dès le lendemain matin. Quand notre fermière voulut sortir sa poule du pot, elle avait disparue. Et les jours suivant, lorsqu’elle ouvrit sa bourse les billets s’étaient transformés en feuilles de tilleul.
Notre Gourbitoise alla conter ses malheurs au curé ? qui lui conseilla d’appliquer la recette des femmes de la vallée de Saurat.
- Lors de la Chandeleur prochaine, tu feras comme ma mère et ma grand-mère avant elle : tu mettras les chats dehors, tu fermeras ta porte à clef. Et à près avoir fait sauter ta première crêpe, son odeur attirera les sorcières dans la cheminée, ton homme tirera un coup de fusil pour les mettre en fuite. Tu apprendras à tes filles la chanson suivante :
« Pour avoir de l’argent toute l’année, du pain blanc et du bon vin, n’oublie pas de jeter ta première crêpe renfermant une pièce d’argent sur l’armoire. Pour ne pas être ensorcelée, n’omet pas de fermer toutes les ouvertures de la maison, il ne faut ni voisin, ni voisines, ni chat dans la cuisine. »