1 Jour – 1 Légende

texte de Paulette Laguerre

La légende du secret du boiteux

Un  enfant du village, un peu disgracié par la nature, possédant une jambe plus courte que l’autre, sortit une nuit et rencontra des Fàdos.  Pour ceux qui ne sont pas de la région,  il faut savoir que ces génies de l’eau ou les lavandières de la nuit, se présentaient aux jeunes hommes sous la forme de belles jeunes filles. D’après mon grand-père, les habitants du village avaient des avis  partagés sur génies.  Pour les uns : de gentilles filles qui par leur magie rendaient de grands services. Il existait même un lieu au pied du Pujal, vous apportiez à cet endroit du linge sale, sans oublier la gratification, vous pouviez le reprendre le lendemain blanchi et repassé !  Pour les autres «les encantàdos ou fàdos, noms des lavandières de Gourbit ! Les habitants du village croyaient qu’il s’agissait de démons femelles pourvoyeuses de l’enfer, ou des mères infanticides.

Mais revenons au garçon, par son infirmité, il  n’avait pas eu l’heur de leur plaire à une lavandière. Après une danse, elle le  renvoya se coucher. Dès lors, le jouvenceau n’aspira plus qu’à la revoir. Il allait le regard perdu, ne s’intéressant à rien. Sur les chemins on s’écartait de lui en disant pitoyablement : « es enfadat! », (fou d’amour) embrèichà par la Fàto.

Ces femmes étaient les ennemies jurées des mères du village. Suivant les légendes, à certaines dates elles apparaissaient : les nuits de l’Avent et du Carême, la nuit de la Toussaint ou de pleine lune, aux bords des ruisseaux. Elles prenaient la forme de créatures de rêves et inspiraient les amours les plus fous aux jeunes jouvenceaux, les enveloppaient dans leurs draps et ils disparaissaient à jamais. Cela faisait beaucoup rire les garçons, qui souhaitaient d’en rencontrer une de danser une farandole, avec elles. Ces femmes de la nuit vont jouer un grand rôle dans la suite de mon histoire.

C’était un soir de pleine lune, une des nuits où les lavandières venaient laver leurs draps au ruisseau. Le jeune boiteux toujours amoureux fou de sa Fàdo, se rendit sur la place dans l’espoir que ce soir sa cavalière l’entraînerait encore dans la ronde. Les lavandières étaient déjà là. Tandis qu’il cherchait des yeux sa danseuse, il  entendit des pas, dans le chemin. Il se cacha vite.

Le jeune marié longeait le ruisseau dans la direction de l’oustal du  marchant de tabac. L’esprit un peu embué par les  boissons ingurgitées au cours du repas. Il ne prêta pas attention à certains présages de mauvais augures  croisant son chemin. Tout au contraire, il donna un grand coup de pied au chat noir arrivant sur sa gauche. Il n’entendit même pas les cris de la chouette.

A l’approche de la place, il perçut des murmures de voix, leur timbre était doux à l’oreille, doux comme la brise. Au lieu d’écouter le cri de la chouette qui continuait à lui annoncer une mort prochaine, il franchit le pont attiré par cette mélodie. Il s’avança vers le ruisseau, et s’immobilisa d’étonnement. Dans un halo de lune il aperçut plusieurs belles créatures vêtues de robes d’un blanc immaculé, penchées sur l’eau, leurs longs cheveux  flottaient autour d’elles. A genoux, elles lavaient une longue pièce de tissu, leurs battoirs en or  rythmaient un chant étrange et envoûtant. A cet instant, le jeune  marié  aurait du rebrousser vite son chemin, il avait une encore une chance, les Fàdos ne l’avaient pas encore vu. Mais il n’en fit rien, comme un aimant, il se sentait attiré.

Il voyait enfin ces  lavandières de la nuit. Combien de fois sa mère avait  eut soin de le mettre en garde contre ces charmeuses, qui, par leurs mélopées étranges, ne cherchaient qu’à  attirer les hommes. Malheur au jeune gars curieux qui s’aventurait au crépuscule, dans l’espoir d’entendre leurs chants. S’il était beau, il était vite emporté par ces dames, tout au fond de leur repaire, et jamais vivant ne le revoyait. Il n’en tint pas compte tout au contraire, il s’approcha d’elles.

 Maintenant elles discutaient :

  • Tu as entendu les cloches ce matin. Les jeunes gens seront bientôt tous mariés dans ce village, se lamentait la première.
  • Et ceux qui restent sont vieux et laids. Avec qui danserons-nous ?

Intriguée,  et attiré par le babil de ces belles jeunes filles, François fit quelques pas  de plus pour voir leur visage. Eclairées par la lune formant  un halo jaune autour d’elles, il put admirer la beauté de ces jeunes filles au teint de porcelaine. Jamais dans ses fantasmes il n’avait imaginé des femmes si belles. Avec quelle grâce leurs battoirs en or  rythment maintenant cette mélodie étrange et envoûtante.

Il restait comme pétrifié,  oubliant complètement  tous les récits entendus sur les disparitions d’hommes dut à ces voix enchanteresses. Ces chants, présage de  malheurs qui attendent les imprudents qui se laissent séduire par leur résonance.

Les Lavandières aperçurent  le jeune marié, elles le rassurèrent :

  • N’ai pas peur de nous,  nous sommes les bonnes lavandières de la nuit nous lavons les âmes des pécheurs.

Puis sans lui laisser le temps de réfléchir, elles le  prirent par la main, et  l’entraînèrent dans une ronde folle. La danse terminée, les lavandières disparurent, ne laissant qu’une des leurs. La blonde Fàdo essaya le l’apitoyer :

  • Ah ! Monsieur, je suis si fatiguée et le drap est si lourd ! Auriez-vous la bonté de m’aider à le tordre !

Le marié encore essoufflé par la danse, toujours sous le charme de ces voix  attrapa machinalement le bout du drap.

Tout en tordant le tissu la blonde Fàdo demanda :

  • Comment me trouves-tu ? Suis-je jolie ?
  • Tu es la plus belle femme que j’ai vue, ta voix est si douce.

Heureuse, la Fàdo lança une cascade de petits  rires cristallins. De sa voix ensorcelante elle lui promit :

  • Je te veux à mes côtés, de la mort je peux te préserver, tu régneras sur mon cœur  pour l’éternité… L’amour que j’ai pour toi ne peut se flétrir, au contraire je sais qu’il peut tout conquérir…

François l’esprit embrouillé, ne comprenait pas toutes ces phrases,  tous ces mots nouveaux pour lui pauvre berger. Cette femme l’aimait, un instant il ferma les yeux, tant ce bonheur le ravissait. La Fàdo  profita de ce moment d’inattention pour tordre le drap dans l’autre sens. Aussitôt le suaire s’enroula autour du corps du  marié le ficelant de la tête aux pieds. Il fut entraîné dans le ruisseau. Le boiteux entendit ses os craquer, le suaire le broyait, l’eau devint rouge du sang du pauvre François  Dans un halo de brume, tous les deux disparurent de la vue du jeune boiteux, le guérissant à jamais de son amour, pour les Fàdos de Gourbit. Au petit matin il rentra chez lui, et  garda le silence sur sa nuit. Ce n’est que bien plus tard qu’il confia  son lourd secret à son père.

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