1 Jour – 1 Légende

Paulette Laguerre

La transhumance

Mes enfants du temps de mes parents, la vie était très dure dans nos montagnes, aussi au printemps, les hommes du pays quittaient leurs villages pour monter travailler dans la montagne. Il y avait les « carbognés » comme on nommait ceux qui produisaient du charbon de bois dans les forêts, complètement noir de la tête aux pieds. Les bûcherons montés sur des mules, reconnaissables  à  leur hache sur leurs épaules. Tous ces hommes vivaient de la montagne.

Dans un vallon encadré de forêts de sapins et de hêtres, (le lac d’Artax n’existait pas encore à cette époque) se trouvait un vert et riche pâturage où les  habitants de Gourbit et d’autres villages avoisinants envoyaient leurs troupeaux paître tous les ans à la belle saison. Lorsque toutes les bêtes étaient réunis pour monter la-haut, la ramado (troupeau) était confiait pour plusieurs mois à la garde d’un berger qui ne redescendrait qu’aux premières neige. A l’époque de mon histoire, c’était Firmin, du village de Gourbit, qui vêtu de sa grande houppelande de laine des Pyrénées et de ses guêtre en peau de mouton, avait prit à la fin avril, la tête de la ramado avec son chien. Jeune et intrépide le Firmin faisait le désespoir du curé par son impiété et les paroles de blasphème sortant de sa bouche. Mais, chut je vais vous raconter son histoire.

La légende du  lac d’Artax

Un cop ! Sur les crêtes à la limite du bois et le début des alpages, Firmin un berger de Gourbit  gardait son troupeau, assis sur une pierre. Tout au tour de lui ses bêtes broutaient de bon appétit l’herbe grasse et les feuilles de réglisse abondantes à cet endroit. Firmin restait très vigilant, l’œil aux aguets, Son bâton ferré à la main car l’ours rodait dans les parages. Heureusement l’automne approchait, bientôt il redescendrait au village passé l’hiver.

Le matin, Berthe la promise du berger lui fit la surprise d’une visite, elle était venue lui porter «  unô tempardô é unn chicott dé salcissot »

      — Vous n’avez pas compris ?  C’est de notre patois Ariégeois que parlaient nos parents. Elle lui apportait  tout simplement une crêpe de blé noir et un morceau de saucisson.

Le temps, ce jour là était orageux et la chaleur suffocante. Vers   midi au soleil, le berger et sa promise  partageaient le repas, assis à l’ombre près de la source de Fonfréde (les gens du pays nommaient ce lieu ainsi car à cet endroit sortait une source très fraîche). 

 Franchissant péniblement les derniers rochers, apparurent  un vieil homme à la longue barbe, à la main un  bâton de buis. Le pèlerin semblait épuisé, la sueur coulait sur leur visage. Il n’avait pas mangé depuis deux jours et les réserves d’eau qu’il avait emmené avec lui se trouvés épuisés. L’homme s’approcha du couple. Arrivé à leur hauteur, il demanda au berger, ce que nul n’aurait refusé à de pauvre marcheur à cette heure de l’été :

 — Brave homme veux-tu me prêter  ton écuelle pour prendre un peu d’eau à la source afin d’étancher ma  soif, demanda Saint Pierre.

Eh ! Oui ! Vous avez bien entendu, autrefois le seigneur Jésus ou le grand Saint Pierre venait dans ce monde se rendre compte si les hommes n’oubliaient pas la charité. Cette année là, Saint Pierre avait choisi les Pyrénées ariégeoises.

 Mais le berger ignorait à qui il avait à faire, furieux d’être dérangé, d’avec sa goujàto, (sa fiancée) eut un réflexe regrettable. Alors que dans nos villages de montagnes l’hospitalité est un devoir sacré envers le voyageur égaré, Firmin répondit en colère : je vais vous le dire en patois :

                 « Bébetz andé la ma ou comô las bàco »

                        — Buvez avec la main  ou comme les vaches.

             Les yeux de  Saint Pierre s’embrumèrent, mais son visage resta impassible, quand il annonça :

 — Je ne boirais pas à cette fontaine et je ne me reposerais pas non plus  à l’ombre de ce bois, mais dorénavant plus personne ne le fera.

Firmin éclata de rire.

— Et la Berthe ! Tu as entendu ? Le soleil a tapé sur la tête de ce pauvre fadàs. 

Ne l’écoutant pas Saint Pierre s’adresse à Berthe :

  •  Femme ! ramasse ta cruche de lait de tes brebis, et cours aussi vite que tu le pourras !  et quoique que tu entendes ne te retourne jamais !

Saint Pierre replaça sa besace sur l’épaule et reprit son bâton noueux et se perdit dans les rochers. Mais il n’alla pas loin de là.

Berthe hésita un instant puis, prise de peur, elle s’enfuit. Arrivée sur les crêtes, elle entendit un grand bruit  de tonnerre, la terre trembla sous ses pieds. La peur au trousse, elle  lâcha sa cruche de lait qui se brisa et courut vers le col.

Le vent souffla de plus en plus fort dans les arbres, les craquements des branches se mêlaient aux bruits des animaux sauvages. Soudain, Firmin fut entouré sans interruptions d’éclairs éblouissants, et assourdit par le fracas du tonnerre amplifié par l’écho que renvoyaient les montagnes entre elles. Sous ce déluge de feux, les moutons affolés partaient dans tous les sens. Epouvanté Firmin et son chien entrèrent pour se protéger dans la cabane  de branchages, recouverte de terre.

 Un bruit infernal se répercuta de rochers en rochers la montagne se fissura de toute part. Des trombes d’eau, de roches dévalèrent les pentes emportant tout sur leur passage, transformant la « jasse » en étang d’eau noire comme de l’encre.  Berger, chien, montons et forêt  y furent engloutis.

A ce bruit de cataclysme, la Berthe toujours sur les crêtes, ne put résister à la curiosité, oubliant l’avertissement que lui avait donné l’étranger, elle se retourna, et fut instantanément figée pour toujours dans la pierre.

Ce lac maudit resta de longues années le territoire des crapauds et salamandres. Les bergers qui conduisaient leurs troupeaux en transhumance dans les parages, évitaient de s’en approcher. En 1935 une première  opération d’alevinage s’était soldée par un échec et les montagnards évoquèrent cette malédiction de Saint Pierre

Si maintenant vous allez  passer la journée au lac d’Artax, et  depuis quelques années pêcher, sachez que pendant des siècles, les gens du pays  crurent ce lac  maudit. Il n’y a jamais eu de  poisson. Autre phénomène incroyable, Sur ses bords naissent tous les ans, des milliers et des milliers de têtards, mais  rarement on aperçoit une grenouille, ou un crapaud.

Lorsque les intrépides marcheurs grippent vers les crêtes qui entourent le lac, ils peuvent  une fois parvenu au sommet, voir dans ses eaux noires, une cinquantaine de troncs d’arbres encore intacts et dressés comme des mâts de bateaux.  Des bergers affirment avoir entendu certains soirs les cloches des moutons sonner. D’autres les soirs d’orage, des gémissements humains à intervalles des  coups de tonnerre. Le curé affirmait que c’était l’âme de Firmin qui réclamait des messes.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *