1 Jour – 1 légende

Les Surnoms de  Gourbit

Cette histoire prend son cours dans notre petit village de Gourbit. Mon grand-père me l’a contée, il la tenait sans doute de son père ; qui la tenait…

Avant que je vous la conte à mon tour, il faut que vous sachiez comment vivaient nos arrières, arrière-grands-parents. Les communications étaient très difficiles. C’était encore plus évident pour la commune de Gourbit qui se trouvait au bout de la vallée et qui n’était sur aucune voie de communication. De plus  avant 1900 il n’y avait qu’un seul moyen d’accès pour arriver au village. A Rabat on empruntait un sentier très abrupt et très rocailleux sur lequel on se tordait les pieds sans arrêt et qui faisait trois bons km de montée ininterrompue. En plus ce chemin était bloqué pendant trois ou quatre mois d’hiver par deux mètres de neige, et les chasse-neige n’existaient pas à cette époque. Tout cela pour vous faire comprendre que nos ancêtres vivaient en autarcie quittant rarement le village et se mariant entre-eux. Beaucoup de personnes du village portaient le même nom, puis on y a ajouté le lieu de leur habitation, et plus tard des surnoms.

Voilà l’origine des surnoms de Gourbit :

L’Estèbe de la Carrière

Un cop !

 Plusieurs voisins s’étaient réunis, à la veillée « Al  Cantou »  (au coin du feu de cheminée) pour manger des châtaignes. Soudain le maître des lieux, le père Estèbe s’affaissa sans un mot, sans un soupir sur sa chaise. On courut quérir Monsieur le curé qui faisait aussi office de docteur. Il ne put que constater la mort du pauvre vacher.

Ce fut l’incrédulité totale  dans la famille. Le curé dut répéter plusieurs fois que l’Estèbe était bien mort. Personne n’avait vu la faucheuse venant annoncer la mort dans la maison, ni entendu le cri  la chouette, pas de  craquements de meubles. Le chien n’avait pas  aboyé à la mort, et aucun corbeau ne s’était posé sur le toit  en croassant trois fois. Il faut vous dire la « Dame à la dàlho (faux), tenait une grande place dans les croyances de la  vie quotidienne des Gourbitois   au siècle dernier. Bon  nombre de  ces peurs et légendes ont persisté même jusqu’à nos jours.

Selon la tradition dans la maison, le cérémonial commença : On lui ferma les yeux sur une autre lumière et les aiguilles de la pendule furent arrêtées au moment précis de sa mort. Les voisines firent la toilette mortuaire au père Estèbe et le revêtirent de ses plus beaux habits, son costume noubial (de noces). Un chapelet au bras droit, un crucifix entre les mains, son chapeau à ses pieds « pour dire bonjour à Saint Pierre », quelques pièces de monnaie pour payer son voyage au paradis. Sa chambre fut nettoyée, préparée pour les visites, puis les fenêtres fermées, les volets clos, les miroirs et glaces voilés.  Sur sa table de nuit, la veuve disposa une coupelle d’eau bénite de Pâques, avec un rameau de buis. Elle aspergea tous les meubles  en récitant une prière et alluma le  cierge de la Chandeleur. Quand tout fut fini les femmes se réunirent autour du lit pour  veiller le mort, et réciter des prières pour son salut.

Bien avant que le glas ne sonne « Las laissas » (les Regrets) neuf coups pour un homme, le fils de l’Estèbe, devenu nouveau maître de la maison alla à l’étable annoncer le deuil aux animaux. A la mort du maître, il appartenait au successeur de celui-ci d’aller avertir du deuil les bêtes et les ruches en prononçant solennellement les formules rituelles : « Lo Mestre es mort » ou « Vostre Mestre es mort », « Avetz un novel Mestre ». (Votre maître est mort vous avez un nouveau maître. Des voiles de crêpe noir étaient fixés au sommet des ruches ou au-dessus des portes d’étables.

Au matin dans la chambre du Gustou, ce fut le défilé de la famille et du voisinage pour se terminer par  bénédiction du curé.

Le lendemain matin la veuve et son fils et quelques membres de la famille assistèrent à la  mise en bière.  Monsieur le curé venait d’être appelé pour un nouveau décès.

Au moment où le fossoyeur, aidé du garde champêtre s’apprêtaient à soulever le cadavre, pour le poser dans le cercueil, le mort ouvrit les yeux et demanda :

— Qu’est-ce  qui se passe chez l’Estèbe ?  

Il eut dans la pièce un grand moment de panique, en voyant le mort se lever  et parler. Les femmes se sauvèrent chercher le curé. Seul resta dans la chambre le garde champêtre.

— Mon pauvre Estèbe nous te croyons  mort, non nous apprêtions à te mettre dans le cercueil.

— Non pas ici l’Estèbe de Naoudo.

C’était justement la personne du village où monsieur le curé venait de se rendre. Après un moment de stupeur et de nombreux signes de croix, le garde champêtre lui répondit :

— Le père Estèbe  vient d’être tué d’un coup de pied de mule,  à l’instant où tu es ressuscité.

— Cela ne me surprend pas, ajouta le vacher. Quand je suis arrivé la-haut, on m’a annoncé qu’il y avait erreur, ce n’était pas l’Estèbe  de la carrière, mais l’Estèbe de Naoudo qui devait mourir.

 Depuis cette date si vous consultez les registres de la commune de Gourbit,  vous lirez accolé au nom de la personne décédée un surnom.

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