Au Grand Rex, Joan de Nadau subjugue les Parisiens (et François Bayrou)
Publié le 28 février à 15h59, mis à jour le 28 février à 15h59
Au Grand Rex, Joan de Nadau subjugue les Parisiens (et François Bayrou)
NOUS Y ÉTIONS – Pendant deux heures au Grand Rex, le chanteur occitan a confirmé hier, 27 février, le renouveau du béarnais dans une ambiance extraordinaire.Passer la publicité
«Mon histoire ? C’est le contre-voyage du saumon. On m’a donné l’école républicaine, je suis remonté à la source. » Son béret gascon vissé sur la tête, Joan de Nadau nous reçoit quelques heures avant de remplir le Grand Rex. Michel Sardou avait fait «les deux écoles», Michel Maffrand – son nom d’origine – a pris «tous les lundis le car pour aller au lycée qui le sortait de son pays», mais il est resté un enfant de Cier-de-Luchon, son village des Pyrénées. En 2023, au Zénith de Pau, Nadau célébrait le cinquantenaire de son groupe inclassable, quelque part entre rock et tradition gasconne.
«Si ma carrière a duré aussi longtemps, c’est que je n’ai jamais été à la mode. Je ne pouvais pas être démodé !», plaisante-t-il avec l’humilité tranquille qui le caractérise. «On fait les arènes de Bayonne cet été, c’est plein depuis trois mois…», s’étonne-t-il encore. Ce soir, la capitale s’enflamme. Celle-là même qu’il disait être pour lui «l’outre-mer» à notre premier coup de fil. Dans la salle, une forêt de bérets occitans, de croix jaune et rouge, et un public qui connaît chaque parole par cœur.
L’amour du «pays»
Dans la voix chantante et pleine de pédagogie de cet ancien professeur, le Béarn est palpitant, vécu, charnel. Son «pays», c’est cette terre de montagnes, de ruisseaux sinueux et des trois hautes vallées pyrénéennes d’Ossau, Aspe et Barétous. Nadau est un conteur hors pair. Qu’importe que ses histoires ne se murmurent pas au coin d’un feu de bois ou dans un salon en pierre apparente, mais au milieu des fauteuils pourpres du Grand Rex. «Quand je parle d’un pays, ce n’est pas un pays avec des frontières. C’est l’endroit où on a été aimé, nous explique-t-il malicieusement. Ça peut être une cage d’escalier, une caravane qui s’en va sur la route, un chemin de terre ou une simple cabane.»
L’hymne «Aqueras Montanhas» est rapidement repris en chœur par le public. Et par François Bayrou, assis dans les premiers rangs. Annonçant sa candidature aux Présidentielles en 2006, le Premier ministre – actuel maire de Pau – n’avait-il pas entonné cet hymne du Béarn à la fin de son discours ? Le groupe enchaîne avec une dizaine de chansons traditionnelles. Avec «l’Immortèla», il raconte une dure montée pour aller cueillir un edelweiss, et pour aller «chercher le pays». «Patapim, patapam/ Non sèi d’on ei sortida on m’a pas briga espiat/ E m’èi pergut suu pic/ E la hami e la set» chante-t-il encore dans L’Encantada, désormais chant officiel de la course landaise, joué au Tournoi des Six nations.
Faut-il voir dans cette mise à l’honneur des particularismes régionaux la nostalgie d’un âge d’or, fait de fêtes de villages et de pastorale occitane ? Voilà qu’on s’y tromperait à nouveau. «La magie, c’est qu’on n’est ni dans le combat, ni dans le regret», confie une jeune participante du concert. «En sortant, on se dit simplement : pourquoi on n’a pas ça plus souvent ?» Avec Nadau, le paysage est à taille humaine, et on peut se l’approprier. «Quand il y a une injonction de renier là d’où on vient, vous ne pouvez pas être bien dans la vie.» Dès lors, peu importe la ville ou le village, le béton ou la terre. «Dans mon village, je pense le monde aussi bien qu’ici.» Et il vient avec «enthousiasme» à Paris où les rues ont le visage des «personnages imaginaires de ses lectures». Jules Vallès, Victor Hugo…
Transmission du béarnais
La multitude de voyelles en finale des mots donne au béarnais une douceur extraordinaire. Pourquoi sauver ce dialecte méridional ? «Un peu d’honneur, ça ne fait pas de mal», nous répond-il simplement. Longtemps, cette langue fut interdite, humiliée. Un jour, il va voir sa grand-mère lui expliquant qu’il veut réapprendre ce dialecte. «Ah non, il ne faut pas faire ça, ce n’est pas bien !» lui répond-elle. «C’était la langue de toute sa vie, mais on lui en avait fait en avoir honte. À la fin du XIXe siècle, tous les patois sont éradiqués à l’école. Vous imaginez toute la culpabilisation derrière, pour en arriver là ? On aurait dû réparer ce qu’il s’est passé.»
C’est grâce à Gilbert Narioo, ardent défenseur de la langue, décédé l’année dernière, qu’il apprend alors le béarnais. «C’est difficile de lutter contre l’éléphant médiatique, nous, on est des petites souris.» Les écoles bilingues Calandreta, nées à Pau en 1980, sont pourtant aujourd’hui 70 en France. Et ses petits-enfants parlent béarnais. «Je leur dis souvent qu’ils seront les plus riches du monde s’ils conservent cela. C’est d’une richesse incroyable.» Beaucoup témoignent de ce nouvel engouement pour les langues régionales. «Le vent tourne, c’est en train de revenir», se réjouit Maylis, venue au concert avec un drapeau corse. Et Nadau de s’étonner : «Avant c’étaient les plus vieux qui amenaient les jeunes. Désormais ce sont les jeunes qui amènent leurs grands-parents.»
Alors, il chante, encore et toujours, et ne se prend jamais au sérieux sur scène. Son humour est tendre, souvent impertinent. Une femme «gracieuse comme un hibou», un conseil municipal qui n’a rien à envier aux tragédies de Racine, le lâcher d’un ours dans un village de la région en 2008… tout y passe. Et la salle passe d’un silence quasi-religieux aux rires en un clin d’oeil. Nadau négocie auprès des musiciens une dernière chanson à coup d’une «prime de pénibilité» puis de «de litres de gasoil», avant d’arriver avec une pancarte «49.3». Le public hèle alors le Premier ministre. Qu’en pense-t-il ? On ne saura pas. La soirée s’achève à l’harmonica, sur un air de la vallée d’Aspe. Mais qui parle d’achever ? Le concert terminé, voilà que le public reprend à lui seul «Mon Dieu que je suis à mon aise, quand j’ai ma mie auprès de moi».