de Paulette Laguerre
La seigneurie de Rabat
Les Anciens avaient une originalité, ils racontaient aux veillées beaucoup d’histoires sur les seigneurs et leurs guerres, sur les invasions arabes. Toujours pigmentées par cet esprit virulent, contre le puissant envers ses serfs. Ils agrémentaient ces récits d’expressions patoises autour de l’âtre. Tandis que se consumaient les grosses bûches ou « Hestelles » de hêtre ou de frêne, sous le manteau de la bonne vieille cheminée. Les enfants assis sur les genoux du père ou du grand-père, les écoutaient en silence.
Un cop !
Alors que nous prenions les premiers rayons printaniers dans la cour, papi m’annonça en me montrant un point dans la montagne :
— Cet été, nous irons effectuer une belle excursion. Je t’emmènerais escalader ce grand pic, la-haut, celui en forme de pyramide avec son capuchon de neige. « Le Pic des Trois Seigneurs ». Chacune de ses trois faces regarde une vallée : Suc au Midi, Rabat au Nord et Massat au couchant. C’est la cime la plus haute de la chaîne, elle culmine à plus de 2100m. Certains prétendent que du haut de ce pic, par très beau temps on peut apercevoir le pont des Demoiselles de Toulouse.
— Papi ! Ce pic a-t-il une légende ? Demandais-je.
—Bien sûr qu’oui. Ce pic à aussi une belle légende, je te la raconterais ce soir à la veillée.
La légende du pic des Trois Seigneurs
Imaginez ! les enfants, nous sommes au moyen âge ; avant l’an mille. Nos vallées étaient défendues par des châteaux. Pas des châteaux forts de pierre, ils sont venus plus tard, non ceux de cette époque étaient constitués d’une tour de bois, érigées sur une butte, entourée de palissades et d’un fossé enjambé par un pont-levis. Ils étaient faciles à bâtir, mais vulnérables au feu. Ceux placés au sommet d’une montagne étaient à l’origine des postes de gardes. Le village de Gorbit dépendait de celui Rabat.
Parmi les occupations de ces seigneurs et de leurs chevaliers, priorité était donnée à la guerre, leur épée ne les quittait pas. A cette époque des luttes sanglantes, les mettaient aux prises car certains châteaux dépendaient du comté Carcassonne, les autres de Toulouse, et même de Barcelone. Ces seigneurs étaient de véritables souverains sur leurs territoires, ils faisaient la guerre, levaient des impôts, rendaient la justice et battaient monnaie.
En ce temps là, les mœurs de ses seigneurs étaient d’une brutalité féroce. Ceux de chez nous ne se différenciaient pas des autres. Grands querelleurs, belliqueux, ce n’était que chicane entre eux, pour un bois, des pâturages, une femme. Ils étendaient parfois leur pouvoir bien au-delà des limites de leur seigneurie. Ils obligeaient leurs paysans à les suivre dans leurs expéditions. L’église essaya d’atténuer leur violence sans grand succès.
Mais revenons à notre légende. Dans la seigneurie de Rabat, Les vallées sont verdoyantes, dans les alpages, la vie pastorale est vivace. Mais malheureusement trop souvent les troupeaux sont volés et les récoltes pillées par des seigneurs voisins. Trois puissants châtelains se disputaient à l’époque les terres du Sabarthes; le seigneur de Rabat, le sire de Quié et le Baron de Massat. Ils se livraient à tour de rôle à des pillages chez leurs voisins, créant chez leurs pauvres sujets de grandes famines et épidémies.
Cela dura des années et des années, jusqu’au jour, où un bruit se répandit, «un évêque avait reçu de Dieu une vision » : l’ordre de prêcher l’oubli de toutes haines et le rétablissement de la paix. Quand il passa dans notre pays, il rencontra le comte de Foix, et les seigneurs de son comté. L’homme d’église les convainquit de signer un pacte de paix au nom de «Dieu » pour le bien de tous.
Et pour le bonheur de nos ancêtres cela se réalisa. On approchait de l’automne, les montagnes prenaient des couleurs, rouges, jaune. De bon matin les seigneurs partirent signer cette paix demandée par Dieu sur un pic à la croisée de leurs trois vallées. Celui de Rabat emprunta les sauvages gorges de la Courbière, le baron de Massat franchit le col de Port et le dernier la belle verdoyante vallée du Vicdessos. Puis ils grimpèrent jusqu’au sommet, afin d’avoir une vue d’ensemble de la région. Là près du ciel, ils procédèrent au partage équitable des terres.
Afin de fêter dignement leur entente, ils convinrent de faire un festin sur place, ils firent apporter trois roches en guise de fauteuils et une quatrième plate pour servir de table. Puis leurs chapelains réciproques bénirent ce lieu et lui donnèrent le nom du : pic des Trois Seigneurs.
Si un jour, vous escaladez ce pic, au sommet sur une petite plate-forme, vous pourrez y voir encore, ces quatre roches et une croix.