Faut-il restaurer les églises? Pour les maires, la croix et la bannière – Libération (liberation.fr)

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Faut-il restaurer les églises? Pour les maires, la croix et la bannière – Libération (liberation.fr)

Autorités religieuses et élus tentent d’imaginer de nouveaux usages pour sauver des édifices de plus en plus désertés, à la rénovation coûteuse pour les communes, propriétaires de la plupart des clochers français.

Alain Auffray

publié le 19 octobre 2023 à 19h46

Garder l’église au milieu du village. Soit, mais à quel prix ? Et pour quoi faire ? Longtemps taboues, ces questions se posent avec de plus en plus d’insistance. Elles hantent des milliers de maires qui remuent ciel et terre pour boucler le financement d’un ravalement, d’une nouvelle toiture ou d’autres chantiers plus coûteux encore. Les parlementaires et les autorités religieuses viennent de se saisir du sujet. Chacun de leur côté, ils en arrivent aux mêmes conclusions : pour rendre acceptables les investissements nécessaires à la sauvegarde du patrimoine religieux, il faudra encourager sa «resocialisation», imaginer de nouveaux usages pour les bâtiments désertés.

Quand il n’y a plus d’école, plus de bistrot ni d’épicerie, il reste l’église à laquelle, tous les élus en témoignent, les villageois restent profondément attachés, même s’ils n’y mettent jamais les pieds. Mitterrand l’agnostique l’avait bien compris : sur son affiche mythique de 1981, sa «force tranquille» se déploie devant un modeste clocher de la Nièvre. Dans les petites communes où les habitats ne se comptent que par centaines d’habitants, l’entretien de l’église est l’une des dernières compétences du maire, toutes les autres relevant désormais des intercommunalités. A part quelques funérailles et la célébration annuelle de la fête du village, rares sont celles qui restent utilisées.

Nouvelles contraintes budgétaires

Celles où l’on dit encore la messe, dans les métropoles ou les chefs-lieux de canton, ne sont pas épargnées par cet effondrement. Selon l’Ifop, 6,6 % des Français se disaient encore catholiques pratiquants en 2021. En vertu du texte fondateur de la laïcité, les communes sont propriétaires de toutes les églises construites avant 1905. Soit au total près de 40 000 édifices. Les autres, environ 2 000 bâties depuis cette date, sont propriétés des diocèses. En nationalisant ce gigantesque patrimoine dans la douleur, la République a paradoxalement contribué à sa préservation. Car si l’Eglise en était restée seule propriétaire, tributaire des dons de fidèles de plus en plus rares, il est clair qu’elle aurait dû se résoudre à en vendre une bonne partie.

Les nouvelles contraintes budgétaires – baisse des dotations et coût de la mise aux normes bas carbone – sont en train de changer la donne. Partout, les maires tirent le signal d’alarme. Au ministère de la Culture, Roselyne Bachelot a vu déferler entre 2020 et 2022 les appels aux secours. Selon elle, il faut se rendre à l’évidence et reconnaître que la collectivité – et donc le contribuable – ne va plus pouvoir payer l’entretien de 40 000 bâtiments. Dans le livre qui raconte son expérience à la tête de ce ministère (682 jours, Plon), elle affirme qu’il faudra faire tomber quelques clochers, notamment les nombreux édifices néogothiques du XIXe, souvent fragiles et sans intérêt architectural. Ces propos sacrilèges lui ont valu un déluge de condamnations, l’extrême droite n’étant pas loin d’y voir un crime «wokiste» contre la fille aînée de l’Eglise. Les rares cas de destructions, rendus incontournables pour cause de risques d’effondrement, servent de prétexte à des manifestations intégristes. On l’a vu le 31 juillet à La Baconnière, en Mayenne. Dans son clip de campagne présidentielle, Zemmour avait incrusté des images de démolition de l’église Saint-Jacques d’Abbeville (Somme) pour illustrer «la disparition de notre civilisation».

Corapporteur de la mission d’information qui s’est saisie du sujet l’an dernier, le sénateur Pierre Ouzoulias (PCF) ne veut pas entendre parler de destruction. Lui, communiste, conservateur du patrimoine catholique ? «Je m’intéresse aux églises parce que je m’intéresse au commun», précise-t-il à Libération. Il se souvient de son grand-père, maire PCF d’un village de Haute-Corrèze, qui a «passé sa vie à entretenir son église». Selon Ouzoulias, le risque d’abandon des édifices non protégés constitue «un vrai défi sociétal». D’ici à 2030, il estime qu’entre 2 500 et 5 000 églises pourraient disparaître. L’état d’abandon encourage les pilleurs : sur le Bon Coin, on vend des ciboires et des calices, voire des confessionnaux en chêne massif. Aider les communes ne suffira pas.

Le rapport sénatorial estime que le sauvetage passe par «la réappropriation des édifices». Il propose de promouvoir des activités «compatibles» avec l’affectation cultuelle. Certaines sont déjà courantes : concerts, expositions, actions caritatives. D’autres pourraient être envisagées : épiceries solidaires, marché paysan, bibliothèque, salle de travail pour les écoliers, îlot de fraîcheur, etc. Ouzoulias raconte qu’un maire de son département lui a récemment rapporté qu’une famille endeuillée et non croyante avait exprimé le souhait de se rassembler dans l’église, la plus grande salle du village, pour rendre hommage au défunt. Impossible, a jugé le curé. On touche là aux limites de «l’usage partagé».

Sans l’accord des autorités religieuses, le maire, tout propriétaire qu’il soit, ne peut rien entreprendre. Dans les diocèses, des «commissions de discernement» vérifient que l’activité proposée est bien compatible avec la vocation de l’église. Tandis que la plupart de leurs aînés trouvent naturel que le dernier mot revienne au curé, les jeunes élus s’en étonnent. Audrey Boché, maire d’Allonville (Somme), village de la périphérie d’Amiens, trouve «sidérant» qu’il faille l’autorisation du clergé pour organiser un concert. Elue en 2020, l’une de ses premières décisions aura été d’ordonner la fermeture pour «péril imminent» de l’église Saint-Jean-Baptiste, privée de messe dominicale depuis des années. Elle frappe à toutes les portes, région, département, mécénat, pour assurer le financement des travaux. Il y en aura pour 1,5 million d’euros. Même s’il ne reste à sa charge que 20 % des travaux, cela reste hors d’atteinte pour les finances du village. Que faire ? Envisager une désacralisation ? Installer une bibliothèque, un espace culturel, une micro-crèche ou autre service «compatible» ? La maire envisage d’interroger ses plus de 700 administrés par référendum.

A vélo jusqu’au Vatican pour récolter des dons

En Mayenne, le nouveau maire de Saint-Poix, Clément Beucher, aurait, lui aussi, très envie de «faire revivre» son église Saint-Paterne. La fondation du patrimoine et l’Etat participent aux importants travaux nécessaires à son sauvetage. Mais l’élu avance prudemment. Surtout, ne pas heurter les catholiques locaux qui, depuis plus d’un siècle, ont fait de cette église un lieu martyr de l’anticléricalisme. Sur la porte principale, ils conservent religieusement les stigmates des coups de hache portés en 1906 par les gendarmes venus procéder à l’inventaire des biens du clergé.

Nouvel élu lui aussi, le maire de Bonnesvalyn (Aisne), Stéphane Frère, veut revigorer l’église communale. «On ne peut pas faire n’importe quoi, bien sûr. Mais les églises ont toujours accueilli du monde. N’était-ce pas, autrefois, le lieu de regroupement naturel des villageois en cas de péril ou de menaces ?» Quelque 700 000 euros devront être investis pour rénover Saint-Martin, fermée pendant vingt ans pour cause de péril. Le classement au titre des monuments historiques de cet édifice roman donne accès à l’aide de l’Etat. Avec la Région et le Département, 90 % du financement est assuré. Mais le reste à charge, 70 000 euros, reste «colossal» pour un village d’environ 250 habitants. Stéphane Frère, qui se définit comme politiquement proche de Ruffin, a roulé à vélo jusqu’au Vatican pour récolter des dons. Mi-septembre, il était encore loin du compte.

Bonnesvalyn, le 26 septembre 2023. L’église Saint-Martin de la ville de Bonnesvalyn, dont le maire Stéphane Frère cherche des fonds pour sa restauration. (Cyril Zannettacci/Vu pour Libération)

«Plus grand musée de France»

Séduite par sa démarche, la Conférence des évêques de France a choisi Bonnesvalyn pour lancer, mi-septembre, les «Etats généraux du patrimoine religieux». Cette longue réflexion sur «la valorisation du patrimoine» devrait se conclure fin 2024 dans la cathédrale Notre-Dame de Paris reconstruite. Coordinateur de cette entreprise, le père Gautier Mornas définit ce patrimoine comme «bien commun» de tous les Français. Jovial et facétieux, le prêtre est à deux doigts de bénir la loi de 1905 : ne rend-elle pas gratuitement accessible, avec ces 40 000 églises et la multitude d’objets classés qu’elles renferment, «le plus grand musée de France» ? Ces Etats généraux seront l’occasion de recenser «les usages compatibles» déjà expérimentés : «On ne restaure pas une église pour qu’il ne s’y passe rien. Elle doit redevenir lieu de vie sociale.»

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Il faudra donc, ajoute-t-il, «inventer de nouvelles compatibilités». A cet appel à projet, le père Mornas met toutefois une limite : rien de politique ne peut avoir lieu dans une église. Le maire de Cizancourt, minuscule commune de la Somme (39 habitants), en a fait l’expérience. La façade de briques de sa toute petite mairie ayant été défoncée par un chauffard, il lui paraissait naturel d’organiser l’élection présidentielle de 2022 dans son église, construite après que le village fut rasé durant la Première Guerre mondiale. Pour l’isoloir, le confessionnal ferait, pensait-il, l’affaire. Le Conseil constitutionnel n’a pas apprécié : estimant que le déroulement du scrutin dans ce lieu de culte «portait atteinte à la sincérité du scrutin», il a annulé les suffrages de Cizancourt.

Même déconvenue à Emiéville où le préfet du Calvados, saisi par l’évêché, a annulé la réélection du maire sortant après les municipales de mai 2020. En pleine épidémie, gestes barrières obligent, l’édile avait convoqué son conseil municipal dans l’église communale, en négligeant de solliciter l’autorisation du curé. Le diocèse de Bayeux n’a pas apprécié. Pas de politique dans l’église ? La règle souffre de quelques exceptions. C’est avec l’accord du curé que le maire de Brangues (Isère), Sylvain Granger, a réuni les villageois dans l’église pour leur présenter ses vœux, le 28 janvier. Dans le village, aucune autre salle ne pouvait accueillir les 150 personnes. Et le maire voulait que les habitants profitent des travaux de rénovation financés par la mairie et par un appel aux dons.

«Eglise-brasserie»

La resocialisation a ses limites. Ce qui est acceptable pour un diocèse ne le sera pas nécessairement dans un autre. Et il faut aussi compter avec les intégristes, qui trouvent là un excellent terrain d’agit-prop. Devant l’église de Carnac (Morbihan), des militants de Civitas – dont Darmanin a demandé la dissolution – ont empêché manu militari le concert d’une organiste américaine au motif que son œuvre «portait atteinte à la dimension sacrée du lieu». Le diocèse de Vannes avait pourtant donné son feu vert. Comme celui de Bayonne a donné le sien à la création d’un «escape church» dans l’église Saint-Barthélemy de Laàs (Pyrénées-Atlantiques) qui menaçait de tomber en ruine. Le maire, Jacques Pédehontaà, également vice-président du conseil départemental, parie que les recettes de ce jeu à énigmes tirées de la Bible permettront de rembourser une partie de l’emprunt souscrit pour les travaux de rénovation.

Certains paroissiens locaux se méfient de ce maire. Outre son église, ce village de 140 habitants possède aussi une petite chapelle millénaire, désacralisée depuis des décennies et rachetée par la mairie alors qu’elle était en ruine. Pédehontaà en a fait un petit cabaret (formule repas-spectacle à 70 euros), ignorant les protestations de ceux qui y voient une profanation. Le clergé n’avait en l’occurrence pas son mot à dire. Mais les «désaffectations» restent rares : à peine plus de 225 cas depuis 1905, selon Gautier Mornas. L’église Saint-Nicaise de Rouen est un cas des plus remarquables. Lancé par la mairie, un appel à projet a été remporté par trois jeunes brasseurs normands. Ils ouvriront en 2027 une immense «église-brasserie» avec bars, restaurant et musée, le tout pouvant accueillir jusqu’à 800 personnes. Il est vrai que la bière est devenue l’alcool préféré des Français, mais on peut tout de même douter que cette conversion fasse école.

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