La légende des deux étrangers à Gourbit
Au premier millénaire, la liberté d’expression, ainsi que la libre pensée fut bannie par la chrétienté, par peur de perdre son pouvoir sur les populations. Toute tentative de décrire les phénomènes naturels par des idées allant à l’encontre des saintes écritures était un péché mortel. Les Arabes envahirent l’Espagne par le détroit de Gibraltar, ils apportèrent dans leurs bagages, leur civilisation avancée sur certaines sciences. Contrairement au christianisme, la religion musulmane encouragea fortement la recherche scientifique afin d’imposer sa suprématie sur les autres peuples et religions. Les musulmans développèrent énormément les mathématiques, Il se créa, en pays Ibérique de nombreux instituts. Un des premiers fut celui d’astronomie. Et les savants qui en sortirent, voulurent faire rayonner ces nouvelles connaissances scientifiques hors de leurs frontières.
Tels des pèlerins, Franco et Louis, deux astronomes espagnols franchirent les Pyrénées, et se dirigèrent vers le comté de Toulouse. A les entendre, dans les auberges, où ils firent halte, ils se vantaient d’être les seuls au monde à connaître et nommer les étoiles, ils parlaient aux paysans de pierre de Lune, de météorites…
Ils venaient en France pour tirer partie de leur savoir. En attendant la fortune, ils allaient à pieds, à petite journée, en faisant petites dépenses. Après avoir quitté la ville de Tolosa, ils cheminaient depuis plusieurs jours, à travers le comté de Foix. Arrivés dans les montagnes du Sabarthes, ils durent se tromper de route car ils se retrouvèrent sur un chemin étroit, escarpé, tout en lacet, qui montait vers le ciel.
Ils arrivèrent essoufflés à la tombée de la nuit, devant un goulet étroit entre des rochers, où soufflait un fort courant d’air froid. Ils le franchirent avec beaucoup d’appréhension. Là, ils réalisèrent qu’ils n’avaient pas du suivre leur bonne étoile ; l’étoile du berger les avait mis sur la mauvaise route.
Ce que les Espagnols ignoraient, c’est que le village en question, à l’étrange nom de «Gorbit », était un cul de sac, ne possédant que quelques chaumières et rares étaient ses habitants sachant lire et écrire, ils vivaient là en autarcie depuis des siècles.
Les Espagnols en eurent vite d’en faire le tour. Pas âmes qui vivent dans les ruelles ! Ils eurent beau tourner et retourner, ils ne trouvèrent ni d’auberge, ni même un cabaret pour le gîte et le couvert. Les deux astronomes durent se résoudre à frapper à la porte d’une pauvre oustal (maison).
Après un certain temps, le volet s’entrouvrit. Une vieille femme, du nom de Pélagie, s’appuyant sur un bâton, pas rassurée du tout passa la tête au finètrou (petite fenêtre) A la vue des hommes étrangers au village, elle demanda :
— Que me voulez-vous ?
— Un lit pour la nuit, et une soupe chaude, pour deux hommes égarés dans un pays étranger.
Les vieilles légendes de Saint-Pierre et de Jésus étaient encore présentes à l’esprit de Pélagie, aussi, elle n’osa refuser l’hospitalité à ces deux hommes de peur d’être transformée en pierre.
— Volontiers, Messieurs, dit-elle, le lèit (lit) dans la mansarde est assez grand pour vous deux, et si vous partagez mon souper, que pouvez-vous demander de plus ?
— Rien de plus, Madame, vous êtes bonne.
— Dieu me le rendra. Mais qu’est-ce qui vous amène chez nous, où pas un étranger n’est monté depuis vingt ans ? Et qui êtes-vous ?
— Nous sommes deux astronomes, des plus habiles d’Espagne.
— Je n’en doute pas ; mais qu’est-ce que c’est des astronomes ?
— Des savants qui étudient le ciel. Qui connaissent et prédisent en regardant les astres, ce qui doit arriver sur Terre.
— Voyez-vous ça ! En sorte que vous pourriez me dire si le temps sera beau demain ? Car je dois récolter un carré de navets, et ce n’est pas agréable pendant la pluie.
Franco et Louis sortirent dans le jardin et levèrent les yeux vers le ciel, ils n’aperçurent ni nuage ni brouillard, mais seulement des étoiles brillantes, une lune claire. Puis, s’étant consultés les deux astronomes revinrent vers Pélagie :
— Ma bonne dame, nous pouvons vous annoncer, un temps sec et chaud pour demain.
Pélagie, secoua négativement la tête :
— Je ne voudrais pas contrarier des savants venus de si loin, mais je crains le contraire, dit-elle d’un air convaincu.
— Bonne Dame, croyez notre science, la lune n’est pas voilée, les étoiles scintillent, nous avons vu clairement la grande ourse, dans le ciel.
— Vous avez peut-être vu un ours, quoique, je ne sais pas ce qu’il faisait dans le ciel ? Enfin, si votre science l’a vu, je vous crois, mais, mon âne s’est roulé cinq ou six fois sur la poussière, et quand cette fantaisie lui prend, mes enfants, vous pouvez être sûr, que la pluie n’est pas loin.
Après avoir ainsi donné son opinion, la bonne vieille alluma une bougie et conduisit les savants espagnols dans la mansarde où un matelas de feuilles de maïs les accueillit et tout le monde s’endormit.
Au milieu de la nuit, un des astronomes se leva et descendit dans le jardin pour vider sa vessie. Dehors Il pleuvait à verse, stupéfait l’homme rentra en hâte dans la chaumière et alla réveiller son compère :
— Vite ! Camarade, décampons au plus tôt, nous n’avons pas pronostiqué le bon temps, et c’est l’âne qui avait raison.
- Tu as raison l’ami ! c’est la sagesse, échappons aux railleries de notre hôtesse. Il n’y a rien à gagner pour nous dans ce Sabarthes. Nous n’y ferons jamais fortune, si les ânes sont plus avisés que les astronomes en Espagne.
- Cric et crac mon conte est terminé.
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Super texte